mercredi 4 mars 2015

Human Rights Washing

Vous connaissez le greenwashing? Si, si, vous connaissez. La technique est simple: une entreprise cherche des leviers d'économie. Une fois identifiés, elle recherche celles qui auraient (par accident) un impact positif sur l'environnement (voir elle invente carrément un pseudo-impact positif sur l'environnement). Ensuite elle communique à ce sujet auprès du grand public, soit pour justifier une baisse de service, une hausse de coûts, avec un bel emballage vers, soit pour amener ses clients à changer de comportement sous un prétexte écolo, pour lui faire faire des économies. C'est comme ça que vous vous retrouvez à garder vos servietes qui puent plusieurs jours à l'hôtel, ou à choisir la "facture électronique" pour éviter de gâcher du papier. Honnêtement, l'impact écologique de ces gestes, mis à part le service "responsabilité sociétale bonne conscience" de l'entreprise concernée, tout le monde s'en fout. Par contre l'impact économique...à la DAF ils se frottent les mains.

Toujours est-il qu'il existe une forme de "washing" bien plus cynique encore: ce que j'appellerai le "Human Rights Washing" (ça a peut-être été utilisé ailleurs, j'en sais rien).

En gros, on fait la liste des territoires où il serait bon d'intervenir pour X ou Y raison géopolitique (souvent le pétrole, dans une monde instable et en perpétuelle mutation, il est tout de même rassurant de voir que les valeurs sûres perdurent! Globalement les ressources naturelles sont des valeurs sûres. Les points de passage stratégiques aussi).

Une fois qu'on a fait cette jolie liste, on regarde s'il y a une quelconque violation des droits de l'homme dans le coin (répression des opposants politiques, génocides, droits de la femme bafoués etc...).  Vu que, malheureusement, ce type d'exaction est un peu monnaie courante dans les terrains de jeux préférés de nos chers politiques/entreprises (nous ne nous étendrons pas ici sur le capitalisme de connivence, un autre billet viendra), il y a toujours une justification. On lance ensuite la presse qui nous fait une campagne marketing aux petits oignons, et roule ma poule!


Quelques jolis exemples:

- 1ère guerre du Golfe, 1991. Saddam envahit le Koweit qui a pleeeeeein de puits de pétrole. Pour rappel, déjà de base, Saddam lorgnait sur ces jolis puis depuis longtemps, ensuite, le Koweit surproduit, fait baisser le cours du pétrole, ce qui coûte plein de sous à Saddam, alors que son pays est criblé de dettes suite à la guerre avec l'Iran. Une histoire de forage pétrolier pas du bon côté de la frontière et boum: Saddam va foute une bonne leçon aux Koweitiens qui le gonflent depuis des lustres. A noter qu'à l'époque il en parle à April Glaspie, ambassadrice US en Irak, qui ne bronche pas et lui dit que les US n'ont pas d'opinion et ne s'en mêleront pas. Gogogo! Saddam envahit tranquillou le Koweit, et y reste peinard sept mois.

La Guerre du Golfe, première guerre spectacle pyrotechnique

Entre temps, les pays voisins de l'Irak tremblent. D'autant que les américains leurs disent qu'ils ont des photos montrant que voilà, Saddam il envoie ses troupes aux frontières, il va les envahir, faut faire quelque chose! C'est l'opération "Bouclier du Désert", et une belle occaz de monter une base US dans le coin, ce qui état catégoriquement refusé par les monarchies pétrolières auparavant. Tout cela est bien entendu facilité par la chute toute récente de l'URSS, qui ouvre la voie à un "Nouvel Ordre Mondial" selon Bush père. Extraite de son discours du 11 septembre 1990:

"De cette période difficile, notre cinquième objectif, un nouvel ordre mondial, peut voir le jour : une nouvelle ère, moins menacée par la terreur, plus forte dans la recherche de la justice et plus sûre dans la quête de la paix. Une ère où tous les pays du monde, qu’ils soient à l’Est ou à l’Ouest, au Nord ou au Sud, peuvent prospérer et vivre en harmonie. Une centaine de générations ont cherché cette voie insaisissable qui mène à la paix, tandis qu’un millier de guerres ont fait rage à travers l’histoire de l’homme. Aujourd’hui, ce nouveau monde cherche à naître. Un monde tout à fait différent de celui que nous avons connu. Un monde où la primauté du droit remplace la loi de la jungle. Un monde où les états reconnaissent la responsabilité commune de garantir la liberté et la justice. Un monde où les forts respectent les droits des plus faibles."

Vu qu'on n'était pas dans le faux-cul complet, il rappelle quand même qu'il y a quelques enjeux énergétiques:

"Des intérêts économiques vitaux sont également menacés. L’Irak à lui seul possède environ 10 % des réserves pétrolières mondiales. L’Irak plus le Koweït en possèdent le double. Si on permettait à l’Irak d’absorber le Koweït, il aurait, en plus de l’arrogance, la puissance économique et militaire nécessaire pour intimider et forcer la main à ses voisins - des voisins qui ont la part du lion des réserves pétrolières du monde. Nous ne pouvons pas permettre qu’une ressource aussi essentielle soit dominées par un être aussi tyrannique."

Ca passerait pas, ça aujourd'hui. Mais on était au début des années 90, on pouvait encore se permettre d'être un peu francs.



Evidemment, les troupes baassistes n'étant pas réputées pour leur délicatesse et leur respect de l'intégrité psychologique et physique de leurs opposants, il y eut quelques menus dérapages (comme il y en avait en Irak depuis des lustres, soit-dit en passant). En octobre 1990, une grand messe médiatique est organisée: audition télévisée devant le Congrès sur les horreurs commises par les troupes de Saddam au Koweït. Les massacres habituels, ça lasse, on a donc une nouveauté: le débranchage et jetage par terre de bébés prématurés qui étaient en couveuse! Le truc bien immonde (et nouveau). Jugez donc, on n'y va pas avec le dos de la cuillère:

« Monsieur le président, messieurs les membres de ce comité, je m'appelle Nayirah et je reviens du Koweït. Ma mère et moi étions au Koweït le 2 août pour passer de paisibles vacances. Ma sœur aînée avait accouché le 29 juillet et nous voulions passer quelque temps au Koweït auprès d'elle. […] Pendant que j'étais là, j'ai vu les soldats irakiens entrer dans l'hôpital avec leurs armes. Ils ont tiré sur les bébés des couveuses, ils ont pris les couveuses et ont laissé mourir les bébés sur le sol froid. J'étais horrifiée. Je ne pouvais rien faire et je pensais à mon neveu qui était né prématuré et aurait pu mourir ce jour-là lui aussi. […] Les Irakiens ont tout détruit au Koweït. Ils ont vidé les supermarchés de nourriture, les pharmacies de médicaments, les usines de matériel médical, ils ont cambriolé les maisons et torturé des voisins et des amis. J'ai vu un de mes amis après qu'il a été torturé par les Irakiens. Il a 22 ans mais on aurait dit un vieillard. Les Irakiens lui avaient plongé la tête dans un bassin, jusqu'à ce qu'il soit presque noyé. Ils lui ont arraché les ongles. Ils lui ont fait subir des chocs électriques sur les parties sensibles de son corps. Il a beaucoup de chance d'avoir survécu. »




Et vu que Saddam n'a pas dégagé au 15 janvier, zyva pour bouter Saddam hors du Koweit, avec "Tempête du Désert" (et accessoirement, remettre un peu d'ordre dans qui produit quoi niveau pétrolier). Le discours de "fin d'offensive" de George Bush (père) est parlant: il s'agit d'une victoire pour le règne de la loi et de ce qui est bien.

Voilà voilà, premier exemple.



Deuxième joli exemple: l'entrée en guerre contre Kadhafi.

Alors là on est sur du plus sportif. Saddam, c'était déjà un peu délicat, parce que c'était un peu l'allié des occidentaux dans la guerre Iran-Irak. Mais bon, il avait envahi un pays, c'est Joker.

Là Kadhafi, c'est plus compliqué. Déjà ce gros margoulin avait installé sa tente devant l'Elysée, avec force signes d'amitié avec Nicolas Sarkozy, en 2007. Ca s'était un peu vu. Ca avait fait un peu scandale, parce que Kahdafi il était un peu soupçonné de vaguement torturer ses opposants et d'avoir peut-être un peu commandité des attentats anti-occidentaux. Mais faisons fi du passé! C'était notre méga-pote, Kahdafi. On devait signer plein de contrats avec lui.



En 2011, paf, c'est plus notre pote. les printemps arabes sont passés par là, et Kadhafi a eu tendance a mater la tronche des opposants avec la délicatesse d'un Myke Tyson sous amphet. Bon, c'est mal. Mais ça arrive, et puis un peu souvent. Il y a le principe de non-ingérence toussa. Bref, quand Sarkozy a déclaré que les vrais représentants officiels de la Lybie, c'était les rebelles, ça a été un peu chelou. Une première, une redéfinition de tous les principes du droit international là.

Bref, on discute, coalition internationale, faut aller péter la gueule à Kadhafi. Pourquoi?

Voici le discours de Sarkozy en mars 2011 pour justifier l'entrée en guerre:

"En Libye, une population civile pacifique qui ne réclame rien d'autre que le droit de choisir elle-même son destin se trouve en danger de mort. Nous avons le devoir de répondre à son appel angoissé. L'avenir de la Libye appartient aux Libyens. Nous ne voulons pas décider à leur place. Le combat qu'ils mènent pour leur liberté est le leur. Si nous intervenons aux côtés des pays arabes, ce n'est pas au nom d'une finalité que nous chercherions à imposer au peuple libyen, mais au nom de la conscience universelle qui ne peut tolérer de tels crimes.
Aujourd'hui, nous intervenons en Libye sur mandat du Conseil de sécurité de l'ONU avec nos partenaires, et notamment nos partenaires arabes. Nous le faisons pour protéger la population civile de la folie meurtrière d'un régime qui en assassinant son propre peuple a perdu toute légitimité. Nous intervenons pour permettre au peuple libyen de choisir lui-même son destin. Il ne saurait être privé de ses droits par la violence et par la terreur."

Bon bah on fait pas dans la dentelle: on protège les gentils contre les méchants. Voilà voilà.

Bizarrement, on parle peu de ce qu'il s'est passé pour la France niveau pétrole après la guerre. Oui, car les cartes ont été rebattues entre les différentes compagnies exploitantes avec cette guerre. Il paraît que si la France soutenait inconditionnellement le CNT (les rebelles), la France (les entreprises françaises) chopaient 35% de la production de brut de Lybie. Je ne sais pas si ça s'est fait, la situation semble compliquée là...

Autre raison invoquée: Kadhafi tentait plus ou moins de soutenir l'Union Africaine, et il avait pas mal d'argent pour soutenir ça avec le pétrole. Or l'indépendance de l'Afrique, des Etats qui se fédèrent...Oui mais pas trop quand même. Bref un prof de l'Université de Diplomatie de Genève en parle ici. Et puis il y aurait des contrats promis et non honorés...


Enfin je suppose que les Lybiens ils sont contents. Comme le dit si bien Pascal Bruckner: "Nous ne sommes pas responsables de ce que les Lybiens font de leur liberté une fois qu'ils se sont affranchis de Kadhafi". J'espère quand même, c'est des gros ingrats sinon. C'est pas comme si pendant plus de 40 ans on n'en avait rien eu à faire qu'ils se fassent oppresser. Les Irakiens aussi j'espère qu'ils sont contents. C'est sympa Daesh, je pense qu'ils sont plus coulants que Saddam. Ah, on me dit dit que les djihadistes de Daesh s'amusent aussi en Lybie...

Enfin bref, on a ici du bon gros Human Rights Washing. Et si on peut voir qu'en 90, on avait encore un peu la franchise de parler pétrole, en 2011, zou, y'a plus que les droits de l'homme qui comptent.

C'est pour ça qu'on est intervenus en Centrafrique aussi...Y'a que les droit de l'Homme qui nous préoccupent, c'est bien connu...

Un article intéressant de JeuneAfrique sur l'intervention en Lybie, détaillant les points de vue pour et contre.

Un site avec plein d'archives sur la Guerre du Golfe




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